Origine et histoire de la Table des Marchand
La Table des Marchands est un dolmen situé sur le site mégalithique de Locmariaquer, dans le Morbihan, associé au grand menhir brisé d'Er Grah et au tumulus d'Er Grah. Il a été construit entre 4000 et 3900 av. J.-C. ; c'est un dolmen à couloir ouvrant sur une chambre au centre d'un cairn circulaire, et la sépulture a dû être collective. Une dalle de grès ornée d'une idole parée de crosses se trouve dans la chambre, et le plafond porte une grande hache emmanchée, une crosse et une figure tronquée.
Le monument a connu plusieurs dénominations : aucun auteur ancien du XVIIIe siècle ne lui donne de nom, puis au début du XIXe siècle il est cité sous des appellations diverses telles que Dolmarchand, Table de César ou Table Marchande. Sur le cadastre de 1830 il figure comme Er Groh vihan (« la petite grotte »), renvoyant à l'aspect cavernicole de la chambre, et en 1834 Mérimée fixe l'appellation Table des Marchands, qui se diffuse tout au long du XIXe siècle ; l'association à une famille Marchand est infondée et l'hypothèse d'une francisation d'un toponyme breton ancien demeure invérifiable.
La plus ancienne représentation connue du dolmen figure dans l'ouvrage du président Robien (1753-1755) et une première mention possible est attribuée à La Tour d'Auvergne-Corret ; en 1811 Joachim Renaud explora le monument pour Maudet de Penhoët, qui publia une relation et une représentation. Dès le début du XIXe siècle le dolmen présente l'aspect qui le rendra célèbre comme un « dolmen typique », et dessins, gravures, photographies et cartes postales se multiplient aux XIXe et début du XXe siècles. Des plans rigoureux furent dressés par Lukis en 1844 et 1864 ; à partir de la fin du XIXe siècle des travaux de protection et des restaurations ont été entrepris : en 1883 des murs furent édifiés autour de la dalle de couverture, le site fut classé au titre des monuments historiques en 1889, des travaux eurent lieu en 1905, la restauration de Zacharie Le Rouzic en 1937-1938 reconstitua un cairn protecteur et suscita une vive polémique, et à partir de 1987 de nouvelles fouilles conduisirent à une remise en cause de cette reconstitution et à une nouvelle restauration du cairn en 1991.
Le dolmen mesure un peu plus de 10 mètres de longueur, dont environ 7 mètres pour le couloir, et comprend dix-huit orthostates et trois dalles de couverture. La table de la chambre mesure 5,72 m de long, est tronquée à l'extrémité ouest, fait 3,95 m de large et 0,85 m d'épaisseur ; la hauteur sous dalle atteint 2,50 m par rapport au sol actuel. À l'origine l'édifice était au centre d'un cairn de 20 m de diamètre, ceinturé par un mur de parement conservé sur 1,75 m de hauteur ; ce cairn fut ensuite élargi à 30 m de diamètre, rendant la chambre excentrée. Plusieurs dalles de couverture du couloir et les supports orientaux de la chambre ont disparu : les orthostates du couloir sont en granite local, à l'exception de deux blocs en orthogneiss de Roguedas (n° 4 et 15) correspondant à des fragments d'un monolithe lié à l'alignement voisin du Grand menhir d'Er-Grah. La dalle de chevet (orthostate n°10) est en grès à sabals, roche rare dans la région orientale du golfe du Morbihan, ce qui implique un transport préalable sur une distance minimale de 10 km ; les fouilles montrent que cette dalle préexistait à la construction du dolmen et que sa hauteur a déterminé celle de la chambre.
Plusieurs dalles comportent des gravures : la dalle de chevet sur ses deux faces (dont une non accessible au public), la dalle de couverture et les orthostates n°2 et 3 sur leur face interne, tandis que les orthostates n°16 et 17 portent des cupules sur leur face externe. La face interne de la dalle de chevet présente au centre quatre registres de crosses et, sur le pourtour, un motif interprété alternativement comme un profil anthropomorphe par Le Roux ou comme un symbole phallique par Cassen ; cette face, orientée vers la rivière d'Auray, aurait pu servir de signe d'avertissement. La face externe porte un double arc radié surmontant une figure quadrangulaire et un croissant que Cassen interprète comme arc-en-ciel (le ciel), habitat-monde (la terre) et bateau (la mer) ; la dalle est aussi gravée du mot « GAZELLE », qui pourrait être une inscription du XIXe siècle laissée par un marin.
La dalle de couverture représente une grande hache emmanchée, une crosse allongée et le train avant d'un animal ; la stèle d'origine est brisée et des fragments correspondant à la partie manquante ont été réemployés dans d'autres monuments, notamment le cairn de Gavrinis, et un fragment ultérieur pourrait avoir été réutilisé dans le tumulus d'Er Grah ou ailleurs. Les orthostates n°2 et n°3 présentent des tracés très effacés découverts plus tardivement, avec une figure quadrangulaire, des signes serpentiformes et ramiformes et un groupe de cupules, tandis que les n°16 et 17 ne portent que des cupules, ce qui suggère une construction symétrique par paire dont la signification reste inconnue.
Le mobilier retrouvé est limité et dispersé : Maudet de Penhoët signale en 1811 une chambre comblée par des couches d'ashes et de terre d'où furent extraits une hache en silex et des fragments de céramique, et Chevalier de Fréminville mentionne un « peloton de fil d'or ». Lors de la restauration de 1883 furent recueillis trois haches polies (dont une en fibrolithe et une en diorite), une lame en quartz, neuf éclats de silex, un os de cheval et quelques fragments de poterie conservés par la Société polymathique du Morbihan, et en 1905 Ault du Mesnil découvrit deux vases quasi complets en terre noire et 62 éclats de silex conservés au musée Miln.