Origine et histoire
Usine de moulinage de la soie de la Galicière
La Galicière, ancienne usine de moulinage de la soie située à Chatte (Isère, Auvergne‑Rhône‑Alpes), regroupe deux fabriques distinctes réunies au milieu du XIXe siècle. Datant de la fin du XVIIIe siècle, elle a conservé la plupart de ses dispositions anciennes pour l'organisation des espaces et les installations techniques, notamment les aménagements hydrauliques, les machines de dévidage et de moulinage et la magnanerie. Son état de conservation et la présence de machines anciennes, certaines datant de la Révolution française, en font une sorte de « capsule de temps » jugée unique en France, voire en Europe. La filature, la forge, la magnanerie, les installations hydrauliques et la machinerie ont été inscrites au titre des monuments historiques par arrêté du 2 mars 2004.
Dans l'Ancien Régime, le textile occupait une place majeure dans l'industrie du Dauphiné, où l'élevage ovin et les chènevières favorisaient le tissage de draps et de toiles ; au XVIIIe siècle, des centres de préparation des fils de soie se sont multipliés dans la province, au point que le Dauphiné figurait parmi les premiers centres français de filature et de moulinage de la soie. La Galicière est née du regroupement de la Fabrique Haute et de la Fabrique Basse, achetées en 1855 par les négociants lyonnais François Fleury Cuchet et Romain Deprandière ; l'usine fut dirigée par François Cuchet, assisté de son gendre Joseph Louis Marc Crozel. Fournissant notamment la Maison Deprandière et Maurel à Lyon, l'établissement connut un essor important et, en 1870, disposait d'environ 600 tavelles, 6 000 broches et 56 bassines, ce qui en faisait la troisième entreprise de moulinage du département en termes d'équipements. C'est vraisemblablement à cette époque que furent édifiés, au nord, les dortoirs pour ouvrières et l'importante magnanerie qui clôt le site.
Fermée depuis les années 1920, l'usine fut mise en vente après le décès d'Anne‑Marie Crozel en 1996 et rachetée en 1997 par un couple d'architectes qui, en 2000, créa l'association Les Amis de la Galicière pour réhabiliter le site et le rendre accessible au public. L'association a rapidement animé le lieu par des expositions, des concerts, des pièces de théâtre, des projections et des performances, parmi lesquelles figurent l'exposition de photographies Inconnus à la fenêtre prises par le chanoine Crozel entre 1899 et 1911, la lecture de Soie d'Alessandro Baricco et la pièce Soie dite en chantant écrite pour La Galicière par Pierre Lecarme. Le site s'ouvre au public chaque année lors des Journées du patrimoine et sur rendez‑vous ; en février 2003, l'association reçut le Grand Prix rhônalpin du patrimoine pour le projet de reconversion de la magnanerie en salle d'exposition et de réception, puis les bâtiments furent inscrits aux Monuments historiques l'année suivante, inscription complétée en 2007 pour les machines.
Le plan du site illustre l'architecture typique des usines de moulinage de la région : chaque opération se déroulait dans un bâtiment distinct et facilement identifiable. L'implantation de la Galicière répondait aux contraintes hydrauliques : elle s'est développée à l'emplacement d'un ancien moulin attesté dès 1651 et d'un site romain répertorié par Hippolite Müller. La magnanerie, bâtiment pont de 6 × 11 m situé entre la Fabrique Haute et le réfectoire, se déploie sur une double hauteur, est exposée nord‑sud et comporte de larges fenêtres à persiennes, des cheminées d'angle et une structure en bois supportant des claies horizontales ajourées accessibles par un plancher suspendu. Dans la forge, le four à cocons destiné à étouffer la chrysalide avant l'extraction du fil est toujours en place ; il était proche d'une machine à vapeur aujourd'hui disparue.
La filature, adossée à la Fabrique Haute, se repère à sa haute cheminée en tuf et à sa façade largement vitrée ; la verrière assurait l'éclairage naturel et, au‑dessus des baies, un store intérieur en tissu mouillé permettait de maintenir une atmosphère fraîche et humide pour le tirage du fil. Les deux salles d'ouvraison, consacrées au dévidage et au moulinage, exigent des conditions de température et d'hygrométrie strictes ; grâce à l'épaisseur des murs et à la situation semi‑enterrée, l'atelier présente une forte inertie thermique et se chauffait au besoin avec des poêles à charbon. La salle de dévidage de la Fabrique Haute, voûtée et badigeonnée en blanc, autorisait l'installation de banques supplémentaires sur une tribune accessible par un escalier en bois, tandis que le contremaître disposait d'un accès direct à la tribune depuis son bureau.
Dans la Fabrique Haute, les deux salles successives d'ouvraison mesurent 8 × 28 m au sol, sont entièrement occupées par les machines et communiquent avec un dégagement latéral de 1,20 m le long des baies orientées à l'est ; un caniveau technique et un arbre de transmission courent le long de la façade ouest aveugle pour alimenter les ateliers. Les moulins, optimisés pour le volume disponible, sont larges de 5,57 m et hauts de 4,80 m, reliés par paires par un palier en bois où travaillaient les moulinières ; leur plafond plat en poutres et voûtains de brique participe à la rationalisation de l'espace. Dans la Fabrique Basse, le moulinage et le dévidage s'organisent sur deux étages séparés par un plancher en bois ; les moulins plus encombrants, hauts de 3,50 m et longs de 7,36 m, occupent le rez‑de‑chaussée et sont pourvus d'une nacelle coulissante pour accéder à leur sommet, tandis que la roue hydraulique reste implantée à proximité des machines les plus consommatrices d'énergie.
La roue de la Fabrique Haute est dissimulée par un escalier en bois menant à la magnanerie et une porte à deux vantaux surmontée d'une imposte vitrée marque l'entrée qui dessert l'usine, la cage à roue, la magnanerie et l'appartement du contremaître. Les logements occupent le même volume que les ateliers et suivent l'ordonnancement des ouvertures ; un corridor long et étroit distribue une enfilade de pièces au décor sobre pour l'appartement du propriétaire et celui du contremaître, qui occupent tout le premier étage de la Fabrique Haute. Le galetas, transformé pour recevoir les claies, servait de salle de grainage ; ses oculi munis de châssis entoilés à guillotine régulaient l'air et la lumière ; il était desservi depuis la magnanerie et doté d'un accès direct pour le directeur, et, dans la Fabrique Basse, il a hébergé un dortoir surveillé par un portillon percé dans le mur mitoyen. Enfin, un dortoir posé en pisé et d'une capacité de 38 lits, qui fermait la cour entre la Fabrique Basse et le réfectoire, menaçait ruine et a dû être démoli.