Origine et histoire de l'abbaye de Saint-Polycarpe et de son aqueduc
L'abbaye de Saint-Polycarpe, située dans l'Aude, a donné son nom au village qui s'appelait auparavant Rivograndi, du ruisseau Rieugrand. Sa fondation est attribuée à Attala, premier abbé, et serait antérieure au IXe siècle : elle est datée selon les sources parfois de 780, ou de 811 d'après des lettres de Charlemagne, et s'inscrit dans les vagues d'immigration de chrétiens d'Espagne en Septimanie au VIIIe siècle. La communauté vivait sous la règle de saint Benoît et l'existence de l'abbaye est attestée par des diplômes royaux (Charles le Chauve, Carloman, Eudes). Le patronage porta saint Polycarpe, dont l'église conservait un chef-reliquaire ; l'abbaye possédait peut‑être aussi une relique de saint Benoît, et certains chefs-reliquaires datent du XIVe siècle et semblent issus d'un atelier de Perpignan. Pour le temporel l'abbaye dépendait du roi, pour le spirituel de l'archevêque de Narbonne, et sa gouvernance alterna entre abbés réguliers et dépendances aux monastères de Lagrasse et d'Alet. Au XIe et au début du XIIe siècle elle fut un prieuré soumis alternativement à Lagrasse ou à Alet, puis retrouva des abbés réguliers du XIIIe au milieu du XVe siècle avant de passer sous la juridiction des archevêques de Narbonne. Des conflits de possession furent discutés en concile et confirmés par le pape Calixte II ; l'abbaye redevint indépendante en 1169 mais demeura l'objet de revendications entre maisons voisines. Parmi ses abbés figurent Bernard de Saint-Ferréol, Raymond (élu en 1337) et d'autres prélats ; à l'époque moderne apparurent des abbés commendataires, notamment Antoine Dax et Paul Dax, ce dernier exerçant de 1570 à 1615. Progressivement l'abbaye perdit des biens au profit des seigneurs environnants, dut vendre des terres pour payer la rançon de François Ier et fut pillée par des protestants, si bien que ses revenus chutèrent tandis que ses charges demeuraient élevées. La discipline monastique connut des relâchements, puis une réforme janséniste fut introduite en 1705 sous l'abbatiat d'Henri-Antoine de la Fitte Maria, qui soutint les thèses jansénistes ; n'ayant pu obtenir la rétractation des moines, les archevêques de Narbonne décidèrent la suppression de la communauté. Par lettres patentes, le roi prononça l'extinction totale du monastère le 14 août 1771 et ses biens furent réunis au séminaire de Narbonne dirigé par les pères lazaristes ; la bibliothèque fut transportée à l'hospice de Limoux. Dom Pierre Valès, qui refusa de quitter l'abbaye et en resta le dernier moine, fut assassiné dans l'église dans la nuit du 6 avril 1773, et le coupable fut pendu. Le monastère et les terres furent vendus comme biens nationaux le 18 février 1791 à un marchand de Limoux, sieur Brousses, pour 22 000 livres ; la famille Brousses conserva la propriété plus d'un demi-siècle avant que les parcelles ne soient revENDues à des habitants de Saint-Polycarpe et des communes voisines. L'église abbatiale devint l'église paroissiale, tandis que l'ancienne église paroissiale fut vendue en 1817 et transformée en bâtiment rural. Un incendie le 13 juillet 1891 détruisit une partie des bâtiments conventuels et le bâtiment oriental qui entourait le cloître fut démoli en 1894. L'édifice a été inscrit au titre des monuments historiques en 1990. Les bâtiments s'organisaient autrefois autour d'un cloître carré bordé de quatre corps de logis : au nord se trouvait l'église, à l'est le chapitre avec la chambre des outils, la cuisine et le réfectoire, au midi l'appartement abbatial surmonté de greniers, dortoir et infirmerie des frères convers et flanqué de granges au rez-de-chaussée, et à l'ouest la chambre des exercices, la bibliothèque et l'infirmerie-pharmacie, avec au-dessus le dortoir des religieux et une salle dédiée à l'apprentissage du plain-chant. À l'entrée nord se trouvaient l'appartement des étrangers et l'aqueduc que les moines avaient construit pour apporter l'eau au monastère. Des vestiges du cloître subsistent au côté sud de l'église ; certaines colonnes du XIVe siècle auraient servi à réparer le cloître de l'abbaye de Saint-Hilaire. L'abbatiale actuelle, dédiée à la Purification et à la Vierge, remonte au XIIe siècle : elle présente une nef unique précédée d'un clocher-porche et a été couverte postérieurement d'une voûte d'arêtes; deux devant d'autel préromans proviennent d'un édifice antérieur. Un important décor de peintures murales romanes, inspiré par l'Apocalypse de Jean, a été mis au jour en 1972 et signalé par Marcel Durliat en 1977 ; des vestiges subsistent notamment dans l'abside. Sous le maître-autel se conservent des chefs-reliquaires de saint Benoît et de saint Polycarpe.