Origine et histoire
L'oppidum de Pech Maho est un comptoir commercial fortifié d'époque celtique situé à Sigean (Aude), occupé du VIe au IIIe siècle av. J.-C. Trois phases d'occupation successives, apparemment continues, ont été observées, vraisemblablement par les Élisyques, peuple installé entre Ibères et Ligures. Le site servait de carrefour entre navigateurs méditerranéens (Phéniciens, Carthaginois, Grecs) et populations autochtones. Il a été abandonné après une destruction presque totale à la fin du IIIe siècle av. J.-C., peut‑être liée à la deuxième guerre punique.
Implanté à l’extrémité occidentale des Corbières, Pech Maho occupe une colline calcaire triangulaire culminant à 29 m, en bordure de la Berre et proche de l’étang de Sigean. À l’époque antique, le site se trouvait sur le rivage d’une mer navigable au sein d’un paysage d’îlots et de plans d’eau communicant avec la mer, favorable aux échanges entre indigènes et marins méditerranéens. Il était proche d’une voie de passage que l’on suppose correspondre à la voie héracléenne franchissant la Berre et reliant l’Italie à la côte espagnole. La colline couvre environ 2 ha, dont 1,5 ha d’habitat reconnu ; la majeure partie des vestiges se concentre près du mamelon dit « Les Oubiels » et une nécropole du IVe–IIIe siècle av. J.-C. a été identifiée à environ 500 m vers l’est.
Le nom moderne « Pech Maho » dérive de l’occitan Puèg Mau ; le nom antique est inconnu, mais une inscription grecque trouvée à Empúries a été proposée comme transcription ibère ayant donné ensuite Sigean. Pech Maho fonctionnait comme relais maritime, poste militaire et centre de pouvoir spirituel et politique pour les Élisyques, commandant la route d’Espagne et surveillant une zone frontière. Les fouilles ont révélé de nombreuses importations d’Étrurie, de Grèce, de Campanie, d’Espagne et d’Asie mineure, ainsi que des imitations locales, attestant l’intensité des échanges et la perméabilité aux apports helléniques et ibériques. L’influence grecque se manifeste par un usage précoce de la pierre et une enceinte élaborée, différences qui tendent ensuite à s’atténuer.
La phase I (milieu VIe–milieu Ve s. av. J.-C.) est surtout caractérisée par le creusement d’un fossé protégeant le secteur sud‑est et par des habitations en adobe sur solin de pierres, associées à des importations étrusques, ioniennes et puniques. La phase II marque la reconstruction de l’habitat selon un plan préétabli, la généralisation de l’adobe sur solin, le remaniement et le renforcement des remparts, et l’organisation du site en îlots desservis par une grande rue nord‑sud et plusieurs artères secondaires. La phase III, la mieux documentée, confirme la continuité urbaine : les maisons sont rehaussées, les défenses renforcées par des murs en terrasses et une tour curviligne protège un accès charretier ; l’écriture ibère devient fréquente et les relations avec la péninsule ibérique s’intensifient.
La fin de l’occupation correspond à une destruction violente à la fin du IIIe siècle av. J.-C., marquée par incendies, remparts démantelés et projectiles de machines de siège retrouvés dans les niveaux de destruction. Les fouilles programmées de 2004 à 2011 ont mis au jour un épisode post‑destruction comprenant banquets, dépôts de cendres, massacres de chevaux et crémations collectives d’individus accompagnés de leurs armes et parures, interprétés comme des rites en hommage aux morts des combats. Ces pratiques, inédites dans leur ensemble, semblent constituer un ultime rituel commémoratif qui clôt définitivement l’histoire de l’oppidum, ensuite volontairement enfoui à l’époque romaine.
L’oppidum correspond au type de l’éperon barré et était protégé sur le versant sud par une succession de remparts, fossés et lignes défensives combinant appareil rustique et techniques d’inspiration hellénique. Le fossé, aménagé dès le VIe siècle av. J.-C., mesure 20 à 28 m de largeur pour une profondeur maximale de 4 m et comporte à l’est des alignements de pierres plantées en quinconce formant un dispositif défensif remarquable. Le rempart principal, adossé à la colline et daté du VIe siècle av. J.-C., conserve une courtine de 14 m haute de 4,70 m, flanquée de deux tours massives et accompagnée de traces de rites de consécration gravés sur l’assise inférieure. La porte charretière ouest, ouverte sur 7,80 × 3 m, était dotée d’une double porte en bois pivotant sur gonds de fer ; de grands blocs calcaires montrent crapaudines et traces d’usure liées au passage des roues.
L’habitat adopte un plan en éventail articulé autour du dispositif défensif : rues, dont certaines avec canalisations, desservaient maisons à plusieurs pièces, dépôts et constructions cultuelles ; maisons et fortifications montrent un appareillage homogène en moellons liés à la terre, parfois enduits d’argile, avec quelques blocs taillés et ajustés pour des éléments soignés. Découvert en 1913 et fouillé régulièrement depuis 1948, le site a fait l’objet de campagnes majeures, notamment sous la direction d’Éric Gailledrat depuis 2004, qui ont précisé sa chronologie, son urbanisme et l’ampleur de ses contacts méditerranéens. Parmi les découvertes figurent des cylindres de plomb portant inscriptions ioniennes et étrusques, des rouleaux en plomb inscrits en ibère, de nombreuses céramiques, bijoux, monnaies, outils et restes humains et animaux. Classé Monument historique, le site présente des murs restaurés et se visite accompagné d’un guide au départ du musée de Sigean, qui conserve les collections issues des fouilles.