Origine et histoire du Viaduc de Souzain
Le viaduc de Souzain, conçu par l'ingénieur Louis Harel de la Noë pour les chemins de fer des Côtes-du-Nord, a été réalisé entre 1903 et 1905 et figure parmi les premières expressions de l'usage du béton armé dans les ouvrages d'art. Situé entre Saint-Brieuc et Plérin, il enjambe la vallée du Gouët. L'ouvrage se composait de trois parties : un accès côté Plérin formé de neuf travées continues en béton armé espacées de 5,10 m entre axes, un viaduc principal de 210 m comportant 23 arches surbaissées en maçonnerie (entraxe de 9,00 m et ouverture de 7,10 m) et un ouvrage secondaire de 47 m supportant la ligne du Phare, constitué de huit arches maçonnées courbes. La longueur totale était de 259 m, la hauteur maximale de 32,60 m et la largeur entre garde-corps de 10,80 m. Construit en régie par le département, le chantier mobilisa environ 120 agents et débuta au printemps 1903; les pierres provenaient d'une carrière voisine et le ciment arrivait par le port du Légué. Les fondations variaient selon le terrain : patins en béton armé posés sur éboulis schisteux, graviers compacts ou rocher affleurant; les culées furent bâties sur le roc. Le premier étage des piles, en maçonnerie, mesurait 1,90 m de large sur 8,80 m de long pour une hauteur d'environ 10 m, avec des chaînages en béton armé tous les deux mètres et des anneaux de voûtes surbaissés assurant le contreventement. Au-dessus, un socle en béton armé accueillait, pour chaque pile, huit pilettes de 60 × 60 cm et de 9,55 m de hauteur, réalisées avec un béton dosé à 400 kg de ciment Portland par mètre cube et coffrées de briques apparentes ; les armatures étaient constituées de fers ronds de 20 mm sans cadres ni étriers, et des cornières métalliques en forme de croix assuraient le contreventement. Les pilettes étaient coiffées d'un sommier en béton armé supportant les arches ; le tablier, dont le plancher a été coulé en place, comportait des trottoirs en encorbellement avec un porte-à-faux de 1,22 m. Un ouvrier trouva la mort en juillet 1904 après une chute d'échafaudage; les travaux s'achevèrent fin 1904 et des épreuves de charge conclurent à la solidité de l'ouvrage en janvier 1905. Le premier train franchit le viaduc le 20 juin 1905. En 1934, une portion du tablier fut élargie de 3 m sur 50 m pour améliorer la circulation routière. Le 23 novembre 1944, un autorail De Dion-Bouton OC1 n°16 dérailla sur le viaduc lors d'un rodage après révision, la cause étant une défaillance des freins; la vitesse fut estimée à plus de 120 km/h. Des travaux sur les pilettes furent réalisés en février 1955 par l'entreprise Coignet sous la direction du service des Ponts et Chaussées. La ligne ferroviaire fut fermée définitivement le 31 décembre 1956 et le viaduc devint exclusivement routier. Dans les décennies suivantes, l'état des pilettes se dégrada rapidement : selon un rapport des Ponts et Chaussées, le nombre de fissures passa de 130 en 1976 à 300 en 1985, la porosité du béton et un enrobage des armatures réduit (2 cm) favorisant la corrosion des aciers étant mis en cause. L'accès fut limité aux véhicules de moins de 2,30 m le 11 septembre 1991, puis fermé à la circulation le 21 décembre 1992. Une étude de restauration fut commandée le 15 décembre 1992, financée à parts égales par la DRAC et le département, et plusieurs évaluations chiffrèrent le coût de la restauration et de la reconstruction, tandis qu'une inscription au titre des monuments historiques fut prononcée à partir du 21 décembre 1993. En 1994, le conseil général vota une restauration avec prise en charge par l'État d'une part du surcoût et prévoyait de reconstruire les pilettes par éléments de deux mètres en conservant le parement en briques ; des oppositions locales et des doutes techniques subsistèrent. Au printemps 1995, des rapports faisant état d'un risque imminent conduisirent à restreindre l'accès, à évacuer des riverains et à envisager la démolition ; malgré l'avis défavorable du ministère de la Culture, le Premier ministre autorisa la destruction le 9 juin 1995. Le viaduc fut dynamité le 27 juin 1995 à 16 h; il fut ensuite radié de l'inscription aux monuments historiques par arrêté du 2 mars 2016. Quelques piles furent préservées par l'Association Harel de la Noë : l'une est exposée près d'un rond-point de Langueux et une autre se trouve dans le parc de Boutdeville, face au musée de la Briqueterie de Saint-Ilan.