Origine et histoire du Village des Bories
Le « Village des bories » se situe à 1,5 km à l'ouest de Gordes (Vaucluse) : il s'agit d'un ancien groupement d'une vingtaine de cabanes en pierre sèche, d'origine agricole et d'usage principalement saisonnier, transformé en musée de plein air depuis une trentaine d'années. À l'initiative du poète Pierre Viala, propriétaire des lieux depuis 1968, la restauration de la partie sud du hameau dit « des Savournins » ou « Les Cabanes » s'est déroulée de 1969 à 1976, et l'ensemble a été classé monument historique le 17 octobre 1977. On y accède par un chemin bordé de chênes et de murs de pierre partant de la route départementale n°2, en venant de Cavaillon/Les Imberts, avant le col de Gordes.
Dans le cadastre napoléonien, ces constructions figuraient sous le nom de « cabanes » ; l'appellation érudite « borie » s'est imposée dans la seconde moitié du XXe siècle. Le terme borie est la francisation du provençal bòri (occitan bòria) ; il a connu des acceptions variables au fil des siècles et fut popularisé par des érudits provençaux du XIXe et du début du XXe siècle pour désigner la cabane en pierre sèche étudiée par l'ethnologie régionale.
L'apparition du hameau des Savournins est attribuée au défrichement et à la mise en culture de terrains jusque-là en pâture ou exploités pour le bois, mouvement lié aux conquêtes de terre en Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles et renforcé notamment par l'édit royal autorisant le défrichement en 1766 ; les pierres extraites lors de ces travaux ont servi à construire l'infrastructure en pierre sèche visible aujourd'hui. Les céramiques mises au jour lors de la restauration dans les années 1960-1970 renvoient à de la vaisselle provençale du pays d'Apt datable des XVIIIe-XIXe siècles, aucune autre céramique n'ayant été retrouvée. D'autres vestiges ramassés en surface — monnaies, objets en bronze, fragments de silex — renseignent sur l'occupation du site mais sont insuffisants pour dater la construction des bâtiments, ces trouvailles pouvant avoir des interprétations variées.
Les cabanes sont construites avec des lauses ou clapes, pierres plates de calcaire burdigalien d'environ 10 à 15 mm d'épaisseur, généralement équarries pour faciliter la pose. Sur les 29 bâtiments en pierre sèche recensés sur le site muséologique, 17 répondent à la définition de la « nef gordoise » (édifice indépendant, plan rectangulaire ou trapézoïdal, forme de carène renversée avec quatre encorbellements), trois sont des portions de carène renversée adossées à un autre bâtiment (trois encorbellements), trois sont de petits édicules à base carrée ou trapézoïdale couverts d'une voûte encorbellée, deux sont de plan circulaire ou en fer à cheval aujourd'hui en ruine, et deux présentent une voûte clavée en plein cintre. La présence importante de bâtiments en carène renversée confère au site une homogénéité architecturale liée à l'emploi d'un même matériau et d'une même technique constructive, la maçonnerie à sec ; la nef gordoise est un type particulièrement concentré à l'ouest de Gordes, résultat vraisemblable d'une conjonction de facteurs géologiques et de besoins agricoles locaux.
Ces constructions ont eu des usages polyvalents : habitations saisonnières ou permanentes, granges à paille, greniers à grain, étables, bergeries, magnaneries, resserres, fours, cuves et fouloirs, poulaillers, soues ou chevrières. Le site est organisé en sept groupes de cabanes — six au nord d'une voie est-ouest et un seul au sud —, principe de regroupement élaboré par Pierre Viala ; par « groupe » on entend la réunion de deux ou plusieurs bâtiments adossés, contigus ou proches et liés par la parcelle, la disposition et la complémentarité fonctionnelle. Cette répartition par groupes relève davantage d'une lecture interprétative que d'une certitude scientifique : les anciennes matrices cadastrales montrent, par exemple, que le groupe II appartenait à deux propriétaires au début du XIXe siècle et que son habitation figurait avec le groupe III sous la référence n°210, propriété de Tourbillon Paul, « maître maçon au bourg ».
Selon la classification de Pierre Viala, quatorze fonctions ont été distinguées sur le site : cinq habitations, quatre étables-bergeries, quatre granges, deux greniers, trois magnaneries, deux fours et fournils, deux cuves et fouloirs, quatre resserres, trois poulaillers, deux soues, une chevrière ; quatre bâtisses restent d'usage indéterminé, auxquelles s'ajoutent cinq courettes et deux aires à dépiquer le blé. On note l'absence d'aménagements importants de collecte et de conservation de l'eau : un puits de petites dimensions existe à cent mètres du centre du village, mais il est tari.
La liste des fonctions, la présence de souches d'anciens mûriers, amandiers et oliviers et la tradition locale confirment le rôle agricole du hameau : selon les témoignages, la polyculture méditerranéenne du XIXe siècle associait céréales, olivier, amandier, mûrier, vigne, truffes et plantes aromatiques, complétée par l'élevage d'ovins, la sériciculture, l'apiculture et le travail du cuir, comme l'attestent les nombreux vestiges de semelles retrouvés sur place. Par leur rôle de grange à blé et à paille et par leur association avec des aires de battage, les cabanes évoquent certains grangeons d'autres communes, bien que ces derniers appartiennent à un modèle architectural différent et plus ancien. Il est également possible que certaines cabanes aient servi de pied-à-terre saisonnier à des « forains » possédant des terres sur le plateau. Quoi qu'il en soit, ces constructions constituent un témoignage précieux de l'histoire agricole provençale des XVIIIe et XIXe siècles.
Ouvert au public, le site est organisé en musée d'habitat rural qui présente, dans divers bâtiments, une collection d'objets quotidiens et d'outils agricoles anciens de la région ; l'un des édifices propose une documentation sur le passé de Gordes et sur l'architecture de pierre sèche. Parmi les pièces exposées figurent des pots, assiettes et plats en terre cuite, des couverts et ustensiles de cuisine en métal, des bouteilles et verres, des meubles, des ruches en bois, un pressoir à huile en pierre taillée, du petit outillage et de l'outillage agricole tels que araires, socs, rouleaux et herses en bois et métal. Pour l'accueil des visiteurs, un bâtiment a été réalisé dans le style local avec murs en pierre et toit en vieilles tuiles canal, un haut mur en pierre sèche protège le site, et les salles d'exposition ont été équipées de grilles ou de vitrages ; des panneaux invitent au respect des lieux et un petit jardin de plantes aromatiques a été aménagé.