Période
2e quart XXe siècle
Patrimoine classé
Les ouvrages de la batterie côtière de Crisbecq, vestiges de la Seconde Guerre mondiale, en totalité, et les assiettes foncières où ils sont conservés, y compris les vestiges archéologiques enfouis ou en élévations connus ou à découvrir, sur les parcelles n° 91, n° 92, n° 97, n° 98, n° 99, n° 100, n° 101, n° 104, n° 223, n° 234, n° 235, n° 236,, figurant au cadastre section D ; et sur la parcelle n° 389, figurant au cadastre section A, tel que représenté sur le plan annexé à l’arrêté : inscription par arrêté du 22 octobre 2024
Origine et histoire de la Batterie de Crisbecq
Située à moins de 3 km de la côte, sur une crête au‑dessus du hameau de Crisbecq dans la commune de Saint‑Marcouf, la batterie occupait une position stratégique offrant une vue de Saint‑Vaast‑la‑Hougue à Grandcamp, au nord d'Utah Beach. Le site accueille dès mai 1942 une importante batterie d'artillerie côtière avec la construction d'encuvements prévus pour six canons de 15,5 cm. L'organisation Todt complète l'ouvrage en décembre 1942 par des soutes à munitions, des abris et un poste de direction de tir de type Lei stand, puis un second poste de direction de tir rattaché à la batterie d'Azeville est édifié en juillet 1943 ; les travaux se poursuivent en 1944 avec la construction de casemates et d'ouvrages pour pièces antiaériennes. Initialement placée sous commandement de la Kriegsmarine, la batterie passe courant 1943 sous l'autorité de l'armée tout en restant largement opérée par du personnel naval et rattachée au 121e régiment d'artillerie côtière. Elle devait être équipée de six canons de 155 mm, transférés ensuite à Fontenay‑sur‑Mer et remplacés par quatre canons Skoda K39/40 de 210 mm, d'une portée supérieure à 30 km. Le dispositif prévoyait quatre casemates en béton armé de type Regelbau R683 — d'une emprise au sol de 21 m sur 16, haute de 8 m, nécessitant 2 000 m3 de béton et 100 tonnes d'acier et offrant un angle de tir de 120° — mais au moment du débarquement seules deux casemates étaient achevées, la troisième en cours de construction avec son canon peu protégé et la quatrième non construite, les bombardements alliés ayant retardé les travaux. Le fonctionnement des pièces était ralenti par la nécessité d'abaisser les canons à 8° pour le rechargement et l'embrasure blindée mobile n'était pas encore installée. Le poste de tir comprenait plusieurs niveaux comprenant une coupole blindée et une encuvement pour batterie flak en sommet, ainsi que des salles d'observation, de calcul, de transmissions et des logements sur les étages inférieurs. La batterie était protégée par six canons antiaériens français de 75 mm, trois de 20 mm et environ soixante‑dix mitrailleuses réparties dans des tobrouks et des ouvrages reliés par des tranchées et des galeries ; l'ensemble était entouré de barbelés et d'un champ de mines, avec des bunkers pour le personnel et les munitions. Le poste de tir de la batterie d'Azeville se trouvait sur le site de Crisbecq, Azeville n'ayant pas de visibilité sur la mer, et la garnison s'élevait à environ 300 hommes commandés par l'Oberleutnant zur See Ohmsen. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, la batterie subit un bombardement aérien massif — 598 tonnes de bombes — qui détruisit l'ensemble des pièces antiaériennes et fit de nombreuses victimes parmi le personnel cantonné à proximité. Des groupes isolés du 502e régiment parachutiste de la 101e division aéroportée tentèrent une attaque nocturne, qui échoua et aboutit à la capture d'une vingtaine de parachutistes. Malgré les destructions, deux canons restèrent opérationnels et, à l'aube du 6 juin, ils ouvrirent le feu à 5 h 52 sur les navires alliés au large d'Utah Beach ; au cours de la matinée la batterie coula le destroyer USS Corry et endommagea plusieurs autres bâtiments avant d'être prise sous le feu des cuirassés USS Nevada, USS Arkansas et USS Texas. Un canon fut mis hors service vers 8 h par un tir sur le devant de la casemate, le deuxième fut détruit environ une heure plus tard par un tir direct dans l'embrasure ; le premier fut brièvement remis en service deux jours plus tard puis à nouveau neutralisé. La batterie repoussa ensuite des attaques terrestres isolées les 7 et 8 juin menées par des éléments de la 4e division d'infanterie américaine, d'autant plus que la garnison avait reçu des renforts du 919e régiment de la Wehrmacht, et Ohmsen demanda même un tir de contre‑batterie de la batterie voisine d'Azeville. Après une forte résistance et une décision de repli, Ohmsen évacua la batterie dans la nuit du 11 juin avec 78 hommes valides en laissant vingt‑et‑un blessés ; la position fut investie sans combat le 12 juin par l'avant‑garde du 39e régiment de la 9e division d'infanterie. L'Oberleutnant zur See Ohmsen fut décoré de la croix de chevalier pour la résistance opposée aux troupes alliées. Dans les jours suivants, le génie américain procéda à des essais d'explosifs sur les bunkers, tests qui constituent encore aujourd'hui les principaux dégâts visibles et ont presque détruit le poste de direction de tir. Abandonné et envahi par la végétation pendant des décennies, le site voyait ses blockhaus partiellement ou totalement inondés jusqu'à ce que, en 2004, deux particuliers acquièrent une grande partie du terrain (400 000 m2), débroussaillent le secteur, dégagent une vingtaine de blockhaus, en réhabilitent certains et les rééquipent de matériels d'époque pour créer un musée privé. Depuis 2016, le poste de commandement des batteries, constitué de quatre niveaux dont deux enterrés, a été entièrement réhabilité et est visitable dans le cadre d'un second musée privé consacré à Walter Ohmsen ; l'ensemble est aujourd'hui géré par une association qui protège et entretient le lieu, propose des visites guidées et expose des objets illustrant la vie et les combats de 1944. La batterie de Crisbecq a été inscrite au titre des monuments historiques en décembre 2024, au sein d'une liste de dix‑huit vestiges de la Seconde Guerre mondiale.