Origine et histoire du Camp d'internement
La Cité de la Muette, conçue par Marcel Lods et Eugène Beaudouin et réalisée entre 1931 et 1934, comprenait cinq tours de quinze étages, des barres d'habitation de deux à quatre niveaux et un grand bâtiment en forme de fer à cheval achevé en 1934. Elle fut l'un des premiers ensembles adoptant le modèle américain des gratte-ciels en France et reste connue pour avoir appliqué intégralement la préfabrication au logement collectif. Il ne subsiste aujourd'hui qu'un immeuble de quatre étages en U autour d'une cour, vestige de l'ensemble initial. En octobre 1939 le bâtiment en U, alors en cours de finition, fut réquisitionné pour servir de camp d'internement ; il avait une cour d'environ 200 mètres sur 40 qui se prêta à l'installation de miradors et de barbelés. Après la réquisition par l'armée allemande le 14 juin 1940, la cité servit d'abord de lieu d'internement pour prisonniers de guerre et civils de diverses nationalités. À partir d'août 1941, la cité devint le camp d'internement pour familles juives connu sous le nom de camp de Drancy et constitua la plaque tournante de la politique de déportation antisémite en France. Dirigé successivement par Theodor Dannecker, Heinz Röthke puis Alois Brunner, le camp fut pendant l'occupation allemande le principal lieu d'internement avant déportation vers les camps d'extermination nazis, principalement Auschwitz. Neuf Juifs déportés de France sur dix passèrent par Drancy au cours de la Shoah dans le pays. La grande rafle de Paris du 20 au 24 août 1941 conduisit à l'arrestation de 4 232 hommes juifs, qui furent emprisonnés à Drancy, marquant l'identification de la cité comme camp d'internement pour Juifs. Le camp fonctionna d'abord comme lieu d'internement dans des conditions dures : sous-alimentation, dysenterie, brutalités de certains gendarmes et sanctions humiliantes entraînèrent de nombreux décès et libérations exceptionnelles de malades. Entre août 1941 et mars 1942 le camp servit aussi de réservoir d'otages pour représailles ; à partir de 1942 il devint progressivement un camp de transit vers la Solution finale. Le premier convoi de déportation de détenus juifs de Drancy vers Auschwitz partit le 27 mars 1942, et la rafle du Vélodrome d'Hiver de juillet 1942 y amena de nombreux couples sans enfants et célibataires. Parmi les internés célèbres figurent la résistante Rose Berkowicz, le poète Max Jacob et les enfants d'Izieu, tous transférés de Drancy avant leur déportation. De 1942 à 1944, une soixantaine de convois partit de Drancy ; sur 76 000 Juifs déportés de France, 63 000 étaient passés par ce camp et moins de 2 000 en revinrent. Entre le 16 septembre 1941 et le 26 juillet 1944, 132 internés moururent au camp, notamment de maladie et de cachexie liée à la malnutrition, et douze se suicidèrent. L'administration officielle du camp fut confiée au préfet de police à la suite d'une décision du 27 août 1941, mais les Allemands restèrent maîtres des internements, des libérations et du régime intérieur. Le camp était gardé par des gendarmes français, tandis que le Service des affaires juives de la Gestapo exerçait le contrôle opérationnel. Les convois partirent selon les périodes de la gare du Bourget-Drancy (42 convois entre le 27 mars 1942 et le 23 juin 1943) puis de la gare de Bobigny (21 convois entre le 18 juillet 1943 et le 17 août 1944) ; selon les recensements, 40 450 déportés partirent du Bourget-Drancy et 22 450 de Bobigny. Le dernier convoi du 17 août 1944 emmena 51 déportés, permettant à Alois Brunner et à ses hommes de prendre la fuite ; jusque-là, les convois avaient été escortés par militaires allemands et gendarmes français, puis par des policiers venus d'Allemagne. Le camp comprenait plusieurs annexes à Paris, notamment les installations d'Austerlitz, Lévitan et Bassano utilisées comme entrepôts, ateliers et centres de tri, ainsi que des lieux dépendant de l'UGIF, des hospices et de l'hôpital Rothschild ; à l'étranger administratif, un hôtel à Nice servit de QG pour des opérations de recensement. À la Libération, le consul suédois Raoul Nordling et des représentants de la Croix-Rouge entrèrent au camp le 17 août 1944 ; l'assistante sociale Annette Monod prit la direction des opérations de libération et 1 467 prisonniers furent délivrés les 18 et 19 août 1944, tandis que le commandant SS Brunner avait pris la fuite. Après la guerre, le site fut employé durant l'Épuration comme lieu d'internement pour personnes accusées de collaboration, avant de redevenir un ensemble d'habitations bon marché et, aujourd'hui, des logements sociaux. Des poursuites furent engagées contre des gendarmes complices de violences ; une instruction visait quinze gendarmes et, lors du jugement du 22 mars 1947, la plupart furent considérés comme réhabilités par des actions dans la Résistance, seuls deux étant condamnés à une peine de prison ferme puis graciés. Le souvenir du camp a donné lieu à des initiatives mémorielles : en 1976 Shelomo Selinger érigea un mémorial près du wagon-témoin, sculpture composée de blocs formant la lettre hébraïque « Shin » et intégrant des symboles liés à la prière collective et aux « Justes ». L'association du Conservatoire historique du camp de Drancy fut créée en 1989, la cité de la Muette fut classée au titre des monuments le 25 mai 2001 et le tunnel des déportés a été classé le 6 mai 2002 ; des graffiti découverts lors de travaux en 2009 ont été déposés aux Archives nationales en 2012. En 2009 le wagon-témoin et le Mémorial furent profanés par des peintures antisémites, acte condamné publiquement, et en 2012 un lieu d'histoire et d'éducation sur le passé du camp, conçu par les architectes Diener et Diener, a été inauguré le 21 septembre 2012. Drancy demeure l'un des lieux centraux de la mémoire de la Shoah en France, cité notamment à Yad Vashem, et les immeubles de la Muette hébergent aujourd'hui une population majoritairement ignorante de cette histoire, selon le constat de novembre 2021.