Origine et histoire
Le château de Gaillon, situé sur la commune éponyme dans l'Eure en Normandie, est une demeure de la Renaissance bâtie sur l'emplacement d'un château médiéval et protégée au titre des monuments historiques.
Au Moyen Âge, la place forte joua un rôle stratégique : après l'accord de 1192 entre Philippe Auguste et Jean sans Terre, Gaillon passa au contrôle du roi de France, puis connut des fluctuations de pouvoir lors des campagnes de Richard Cœur de Lion, avant d'entrer définitivement dans le domaine royal par le traité du Goulet en 1200.
Philippe Auguste confia la défense à Lambert Cadoc, qui reçut Gaillon en 1197 et en fut seigneur jusqu'en 1220, date à laquelle le roi le reprit et l'emprisonna à la suite de plaintes pour rapine.
En 1262, l'archevêque Eudes Rigaud obtint le château de Louis IX en échange de moulins et de 4 000 livres ; l'édifice devint alors la propriété perpétuelle des archevêques de Rouen et leur résidence d'été.
Le château reçut de nombreuses visites et séjours notables au cours des siècles suivants, et sa destinée fut marquée par les guerres contre l'Angleterre qui entraînèrent, après la victoire du duc de Bedford en 1424, des ordres de destruction dont l'hôtel archiépiscopal fut toutefois épargné.
À partir de la fin du XVe siècle, les archevêques Amboise firent des ruines le premier palais de la Renaissance française : Guillaume d'Estouteville releva l'« Ostel Neuf » entre 1455 et 1463, puis Georges d'Amboise transforma le site en un véritable palais italien.
Les travaux de Georges d'Amboise se déroulèrent en deux phases : de 1502 à 1506 il fit appel à des constructeurs du Val de Loire, dont Colin Biart et Guillaume Senault, puis de 1506 à 1509 il mobilisa des artistes italiens et rouennais pour achever la métamorphose.
Parmi les œuvres importées figurent une fontaine en marbre de Carrare, acheminée d'Italie via Honfleur pour la cour d'honneur, commandée le 14 septembre 1506 aux sculpteurs génois Agostino Solari, Antonio della Porta et Pasio Gaggini, et dotée d'une horloge hydraulique.
Michel Colombe réalisa en 1508 pour la chapelle un retable en marbre, aujourd'hui conservé au Louvre et considéré comme le premier exemple de la technique du stiacciato en France.
À partir de mars 1506, Pacello da Mercogliano aménagea le Jardin de Haut en vingt-six carrés, dont deux labyrinthes végétaux, et le neveu Georges II acheva la chapelle en 1510 en complétant notamment des boiseries engagées dès 1508 par le menuisier Nicolas Castille.
Georges d'Amboise fit également creuser un ermitage dans la roche dans le parc nord, auquel fut ajoutée une « Maison Blanche » au cours des années 1560, et les embellissements du château se poursuivirent aux siècles suivants.
Dès 1508 l'édifice suscitait des louanges et l'intérêt des architectes ; l'Académie d'Architecture visita le site lors d'un séjour en Normandie en 1678.
Au XVIIe et XVIIIe siècles, Jacques Nicolas Colbert fit édifier un pavillon par Jules Hardouin‑Mansart et une orangerie, André Le Nôtre s'intéressa aux jardins, et la fontaine italienne, mal entretenue, fut démontée au XVIIIe siècle et transférée successivement à Liancourt puis au château de La Rochefoucauld.
Dominique de La Rochefoucauld fut le dernier archevêque à résider à Gaillon ; en 1792 le château fut envisagé comme refuge pour la famille royale mais ce projet fut abandonné après la prise des Tuileries, et la même année un certain Provost acheta le château et dispersa ses trésors.
Au XIXe siècle, sur proposition du préfet Barthélémy François Rolland de Chambaudoin, un décret du 3 janvier 1812 fit acquérir le site par l'État pour le transformer en maison centrale ; l'achat fut réalisé pour 90 000 francs et les architectes Louis‑Ambroise Dubut puis Louis‑Robert Goust conduisirent les travaux.
La maison centrale fut inaugurée le 5 novembre 1816, ses aménagements se poursuivirent jusqu'en 1824 et une évaluation eut lieu en 1819 sous l'égide de François Barbé‑Marbois.
De 1824 à 1868 la centrale accueillit des délinquants, souvent de nombreux mineurs, dont l'augmentation à partir de 1840 est liée à une circulaire ministérielle ; à partir du 25 septembre 1868 les enfants furent séparés des adultes.
En 1876, sur l'emplacement des Jardins Hauts fut construit le premier établissement français destiné aux déficients mentaux et aux épileptiques, dont subsiste la « Maison grise », et la centrale fut finalement fermée en 1901, les détenus étant transférés ailleurs.
Les traces du passé pénitentiaire, notamment des graffitis sur le château et sur la Maison grise, font l'objet au XXIe siècle de travaux de recensement et de protection.
Le site connut aussi un usage militaire : un détachement du 74e régiment d'infanterie de Rouen occupa l'ancienne maison centrale, la 8e compagnie du 28e régiment participa au défilé du 14 juillet 1903 dans un uniforme « prototype », et à partir du 24 décembre 1914 un centre d'instruction pour officiers sous‑lieutenants auxiliaires belges (CISLA I) y fut organisé sous la direction du capitaine‑commandant Neuray.
Une plaque commémorative rappelle ce centre de formation ; son centenaire a été célébré le 26 avril 2015 et la sépulture d'un soldat belge figure dans le carré militaire du cimetière communal.
Le château fut vendu aux enchères en 1925 ; l'État le racheta le 13 mai 1970, l'acquisition fut officialisée le 17 mars 1975 et des travaux de restauration, pilotés par Georges Duval, commencèrent en 1977, avec notamment le remontage dans la cour des éléments de la porte de Gênes conservés à l'École des Beaux‑Arts et la restitution de la toiture du pavillon d'entrée avec une charpente en béton.
En septembre 2009 l'Association pour la Renaissance du Château de Gaillon (ARC) fut créée ; avec la municipalité elle contribua à la réouverture au public à l'été 2011, au développement d'expositions et à la réalisation d'une maquette représentant le château au XVIe siècle.
Le château de Gaillon est considéré comme le premier château de style Renaissance en France (1500‑1509), exemple majeur de la transition entre le gothique flamboyant et le style Renaissance, suivi par le château de Blois.
Au début du XVe siècle la basse‑cour comprenait un four, des réserves à farine et à bois, un fenil, une fontaine, une écurie et un cellier surmonté d'une cuisine, et la porte tournée vers la ville était ornée d'une statue de saint Michel provenant de Rouen et placée en 1405.
Si l'aspect actuel du château conserve l'empreinte de son passé pénitentiaire, le pavillon d'entrée à la toiture en fer de hache demeure un exemple remarquable de l'architecture de la Renaissance française.
Au titre des protections, le château a été classé dès la liste de 1862 ; le terrain nord‑ouest anciennement intégré au parc a été classé le 8 septembre 1965, l'assiette des anciens jardins et éléments de clôture ainsi que les vestiges archéologiques ont été inscrits le 8 février 1996, et le château a été de nouveau classé par un arrêté du 17 juin 2024.