Origine et histoire du Château de Lucheux
Le château de Lucheux est situé sur un éperon boisé dominant le village de Lucheux, au nord du département de la Somme. La tradition attribue la fondation d'une forteresse à Hugues II de Campdavaine vers 1120, mais la première mention écrite remonte à 1147 et une motte castrale antérieure est parfois attribuée à Baudouin Ier. Hugues IV de Campdavaine fit élever des mâchicoulis le long de l'enceinte après son retour de croisade, et à sa mort à Constantinople en 1205 la seigneurie passa, par alliance, à la maison de Châtillon. Les comtes de Châtillon agrandirent et transformèrent la forteresse au XIIIe siècle, remaniant les fonctions militaires et développant les aménagements résidentiels, dont le donjon, la grande salle, une chapelle, un jardin et un verger. Ces aménagements firent du château un lieu de séjour apprécié des comtes de Saint-Pol et, à partir du XIVe siècle, de plusieurs rois de France. La seigneurie passa ensuite à la maison de Luxembourg ; au cours de la guerre de Cent Ans le château subit plusieurs attaques anglaises et fut endommagé après la bataille d'Azincourt. Pierre de Luxembourg entreprit des réparations et modernisa l'arsenal militaire en 1431, et son successeur Louis de Luxembourg compléta les défenses par la construction de la Tour Neuve. Louis de Luxembourg fut exécuté en 1475 pour avoir tenté d'affirmer l'autonomie du comté, lequel fut alors confié à Guy Pot puis rendu à Marie de Luxembourg par le roi. Au XVIe siècle se succédèrent sièges et ravages : en 1522 les Impériaux assiégèrent le château pendant huit jours, en 1552 les Espagnols l'attaquèrent, les protestants s'en emparèrent en 1567 et les troupes espagnoles incendièrent bâtiments et porte en 1594-1595. Des réparations importantes furent entreprises alors, avec la participation de Jean Bullant, sans pour autant permettre une relève durable du château. Le démantèlement ordonné par Richelieu en 1640 marque le début d'un effondrement prolongé, poursuivi aux XVIIe et XIXe siècles après la saisie comme bien national, qui laisse en ruines les parties les plus anciennes. Les vestiges ont cependant été restaurés et consolidés ; une partie des logis reconstruits au XVIIe siècle a servi d'école. L'ensemble des vestiges, enceinte et bâtiments intérieurs, a été classé monument historique par arrêté du 30 mars 1965. Le château appartient à la Société des antiquaires de Picardie ; il avait été occupé et entretenu par la PEP de la Somme de 1950 à 2012, après quoi la société a mis le site en vente.
L'enceinte ovoïde, d'environ deux hectares, se divise en haute et basse cour. Dans la haute cour, le donjon domine encore les ruines : tour ronde du XIIIe siècle reposant sur une base carrée du XIIe siècle dont subsiste le flanc nord-est et une assise basse de cinq à six mètres. La transition entre la base carrée et la tour ronde s'effectue par un encorbellement orné de feuilles sculptées ; la tour est cantonnée de tourelles semi‑circulaires. Le donjon, organisé à l'origine sur quatre niveaux, comprenait au rez-de-chaussée un puits et des latrines, un premier étage occupé par une salle seigneuriale octogonale voûtée sur croisées d'ogives, puis un deuxième et un troisième étage. Trois tours situées dans les fossés formaient des bastions protégeant la base du donjon. Au sud de la motte se dressaient les bâtiments résidentiels et la grande salle, longue de 30 à 35 mètres sur 15 mètres, dont ne subsistent aujourd'hui que deux côtés. Le mur ouest de la grande salle conserve une série de baies gothiques du premier XIIIe siècle : quatre baies géminées sous arc brisé séparées par des colonnettes finement travaillées (six étaient à l'origine). Une chapelle, accolée à la grande salle vers 1275 au revers de celle-ci, présentait une nef rectangulaire flanquée de deux tours ; le chœur et une partie de la tour nord se sont effondrés au cours du XXe siècle.
La basse cour offre les éléments les mieux conservés, notamment la porte du Bourg au sud, châtelet du XIVe siècle formé de deux tours rondes coiffées de toitures en poivrière et protégeant la porte charretière, le pont-levis et la herse. À droite du châtelet, une tourelle d'escalier hexagonale du XIVe siècle desservait les étages ; son premier niveau abritait la machinerie de la herse et le niveau supérieur, aujourd'hui disparu, le logement du capitaine. Le parement mêlant brique et pierre résulte des reconstructions du XVIIe siècle, et, à gauche du châtelet, un logis édifié sur des fondations médiévales a été fortement remanié entre le XVIe et le XXe siècle. À l'ouest, la porte du Haut-Bois, d'origine poterne romane du XIIe siècle et reconstruite au XIVe siècle, est aujourd'hui obturée ; il n'en reste que la base de deux échauguettes sur ses contreforts. À proximité, la courtine percée de longues archères fines et munie de trois grands mâchicoulis en plein cintre sur contreforts remonte au XIIe siècle et témoigne d'une influence orientale liée aux constructions de l'époque des croisades.