Origine et histoire du Château de Martainville
Le château de Martainville, édifié à partir d'environ 1485 par le négociant rouennais Jacques Le Pelletier sur les vestiges d'un ancien château-fort, se dresse à Martainville-Épreville en Seine-Maritime. Le domaine, constitué par échange de terrains, est ceint de murs de brique ponctués de tourelles dont le tracé reste lisible et dont certaines portions subsistent en élévation. Le logis est un quadrilatère cantonné de quatre grosses tours d'angle, coiffées en toitures coniques, et percé d'une tourelle d'escalier en façade arrière. Vers la fin du XVIe siècle, une enceinte rectangulaire à quatre tourelles fut ajoutée et un nouveau fossé non maçonné creusé à l'extérieur, tandis que des jardins d'agrément occupaient l'espace clos aux XVIIe et XVIIIe siècles ; il en subsiste des vestiges connus par des plans et miniatures du XVIIIe siècle. Considéré comme l'une des expressions majeures de l'architecture civile de la fin du gothique, le château a été acquis par l'État en 1906 puis cédé au département en 2002 ; il abrite le musée des Traditions et Arts normands et bénéficie d'une protection au titre des monuments historiques.
Fils d'une des plus riches familles de la grande bourgeoisie rouennaise et lui-même grand armateur, Jacques Le Pelletier acquit en 1482 le fief de Martainville et fit entreprendre la construction peu après son élection comme conseiller-échevin de Rouen en 1493 ; la date de 1485 gravée sur la clef d'une fenêtre correspond au premier aveu rendu au suzerain, l'abbaye Saint-Ouen. Après la mort de son frère Richard en 1499 et l'arrêt des activités marchandes familiales, Jacques engagea une campagne de remaniement qui transforma la demeure campagnarde en une « maison en forme de château ». Mort en 1511 sans descendance masculine, il transmit ses biens à son neveu ; la seigneurie passa ensuite à diverses branches familiales et, en 1571, Richard Le Pelletier put prendre l'appellation de Martainville avant d'entrer au service de la cour comme gentilhomme de la chambre d'Henri III. La place du château dans l'histoire militaire est soulignée par l'éviction, en 1590, des troupes du duc de Parme par Henri IV lors de sa campagne vers Fontaine-le-Bourg.
Au siècle suivant, le seigneur résidant à la cour de Versailles fit prospérer l'exploitation agricole, agrandir les communs et transformer les appartements, notamment au premier étage. Le dernier des Martainville mourut en 1757 sans héritier direct ; la demeure passa ensuite par alliance à Salomon Couture puis à la famille Fautereau et resta habitée jusqu'en 1870, date à partir de laquelle la guerre de 1870 provoqua des déprédations suivies d'un abandon. Classé monument historique en 1889, le château vit sa ferme et plusieurs éléments annexes protégés par un arrêté de 1931, qui couvre notamment le puits et sa couverture, le colombier, les toitures et façades des bâtiments entourant la cour de ferme ainsi que des hangars en charpente situés dans le verger et l'herbage. Mis en vente en 1905, le logis fut acheté par un marchand de bestiaux qui démembra une partie des terres et dispersa le mobilier avant que l'État n'intervienne et acquière la propriété en 1906.
Restauré vers 1925 par Henri Gosselin, le château fut destiné à devenir un lycée agricole après rénovation, puis confié au conseil général, qui y installa à partir de 1962 le musée des Traditions et Arts normands, ouvert au public le 14 juillet 1964 sous la direction de Daniel Lavallée. Les travaux du XXe siècle, conduits par l'administration des Monuments historiques, ont notamment porté sur la suppression d'une construction ajoutée entre deux tours sud, la restitution des gables flamboyants aux pinacles des ouvertures, la réfection des toitures et des huisseries et le réaménagement de l'intérieur ; la façade orientale a été mise en valeur par l'aménagement d'un jardin inspiré de la Renaissance à partir de 2011.
L'organisation du domaine conserve l'entrée nord donnant sur une basse-cour orientée est-ouest où subsistent des dépendances adossées aux murs de clôture, telles que la maison du métayer, les écuries, les granges, le pressoir et les bergeries, et le colombier placé à l'extrémité occidentale de l'enclos. À l'est, une seconde cour à peu près carrée, close de hauts murs crénelés et cantonnée de quatre tourelles (environ 42 × 40 m), contenait le château au centre et commandait vers l'extérieur un vaste jardin d'agrément. Le logis, de plan rectangulaire et couvert d'un toit en pavillon, est construit en briques cuites et en pierres blanches de Vernon, avec un appareillage orné de briques vernissées noires disposées en motifs ; des consoles au sommet des tours, aujourd'hui disparues, subsistent partiellement sous forme de pierres sciées évoquant d'anciennes mâchicoulis.
La grande originalité de Martainville réside dans son plan symétrique centré sur un large couloir traversant et un escalier logé dans une tour hors-œuvre en façade arrière, système de circulation qui sépare clairement les salles et offices du rez-de-chaussée des chambres aux étages et rend chaque pièce indépendante. Ce plan novateur a inspiré d'autres demeures, dont Chenonceau, et plusieurs édifices normands du XVIe siècle se sont plus ou moins appropriés ce modèle, apprécié pour l'accueil de nombreux convives, la création de chambres indépendantes et l'accès direct aux jardins. Peu après la construction, la travée centrale de la façade principale fut entièrement remaniée pour monumentaliser l'entrée : l'ouverture primitive fut remplacée par un grand portail à deux vantaux équipé d'un pont basculant, tandis que l'étage reçut le chevet d'une chapelle et une tourelle d'escalier, renvoyant aux références des châteaux forts et à des exemples comme Mehun-sur-Yèvre ou le palais Jacques-Cœur à Bourges.
Au titre des protections, le château est classé depuis 1889 ; la ferme et ses éléments ont été classés en 1931 et l'assiette foncière des anciens jardins, ainsi que les éléments subsistants de leur clôture et de la composition, y compris les sols de la cour des communs, ont été inscrits par arrêté en 1997. Le musée des Traditions et Arts normands, labellisé Musée de France, occupe vingt-trois salles et présente des collections permanentes ainsi qu'une exposition temporaire renouvelée chaque année. Créé en 1961 par le conseil général et aménagé par Daniel Lavallée, le musée a constitué par un vaste collectage et de généreux dons une collection de mobilier, costumes, céramiques, verrerie et objets de la vie quotidienne en Haute-Normandie du XVe au XIXe siècle ; environ 1 500 œuvres y sont exposées en permanence ou en rotation. L'ethnographie des pays de Haute-Normandie y est restituée par des intérieurs de ferme reconstitués, et le dernier étage présente une importante collection de coiffes, bijoux et costumes normands ; l'association « l'Espace Musical » y organise chaque année une exposition consacrée à l'histoire de la musique en Normandie en lien avec la thématique temporaire. Parmi les expositions temporaires figure notamment une présentation des traditions verrières en Normandie du XVIe siècle à nos jours.