Origine et histoire du Château de Maulnes
Le château de Maulnes, à Cruzy-le-Châtel (Yonne, Bourgogne), est un édifice de la Renaissance bâti entre 1566 et 1572-1573 à la demande d’Antoine de Crussol, duc d’Uzès ; il repose sur un plan pentagonal centré autour d’un escalier-puits alimenté par trois sources. Le site, occupé depuis le Néolithique et cité en 863 sous le nom de « Molnitum », avait accueilli une motte castrale des comtes de Tonnerre probablement au XIIIe siècle, lieu de chasse fréquenté par des seigneurs tels que le duc de Bourgogne Philippe le Hardi en 1366 et 1374, puis détruit lors des hostilités bourguignonnes en 1414. Le projet moderne est l’œuvre de Louise de Clermont et d’Antoine de Crussol, qui décidèrent en 1566 l’implantation d’un logis dans la forêt de Maulnes, à la fois relais de chasse et moyen de mieux gérer l’exploitation des vastes bois du comté. Le 7 mai 1566 Antoine signe les contrats avec un maître maçon et un maître charpentier ; Jean Cosquino est chargé de la gestion du chantier sous le titre de gouverneur. Malgré les troubles de la guerre de Religion, le logis principal est achevé à la fin des années 1560 et Louise s’y installe en 1569, Antoine la rejoignant en janvier 1570 ; des bâtiments annexes restent toutefois inachevés et le chantier évolue ensuite au gré des absences et des événements familiaux. Après la mort d’Antoine en 1573, Louise abandonne en grande partie le chantier ; les plans de Maulnes sont publiés par Jacques Androuet du Cerceau en 1576, mais les questions de succession retardent l’entretien et l’occupation durable de l’ensemble. Au XVIIe siècle des travaux et réparations sont entrepris, sans que l’usage du château ne redevienne continu, puis la propriété passe aux Le Tellier de Louvois qui, au XVIIIe siècle, favorisent l’exploitation du bois puis l’implantation d’une verrerie sur le site. La verrerie transforme notablement Maulnes, qui sert alors d’habitation aux ouvriers et voit ses communs modifiés, mais l’activité s’arrête en 1844 et le domaine entre progressivement dans l’abandon. Classé au titre des monuments historiques le 11 juillet 1942, le château se dégrade ensuite jusqu’à ce que la Société des Amis de Maulnes entreprenne des consolidations dans les années 1960 ; des campagnes ponctuelles de travaux ont suivi, puis le conseil général de l’Yonne acquiert le domaine en 1997 et lance des recherches pluridisciplinaires et une restauration poursuivie depuis, le site étant ouvert au public depuis 2005.
Implanté à 25 km de Tonnerre et à 15 km des châteaux de Tanlay et d’Ancy-le-Franc, Maulnes occupe la lisière d’un plateau jadis boisé, à la croisée de cinq avenues forestières et au-dessus de sources pérennes qui alimentent son puits et son nymphée. L’ensemble se compose de trois corps : des communs en hémicycle, aujourd’hui partiellement disparus, une galerie désormais disparue et le logis pentagonal accessible par un pont dormant. Les communs, datés vers 1570-1572, ont été transformés pour la verrerie, ont perdu une moitié de l’hémicycle et ont vu leur charpente d’origine — de type Philibert Delorme — remplacée entre 1662 et 1674, puis démontée en 2000-2001 ; ces bâtiments restaurés servent aujourd’hui d’accueil et d’espace d’exposition. Le logis mesure environ 17 mètres par côté et s’articule autour d’un cylindre creux qui constitue le puits et l’axe d’un grand escalier en vis pentagonal desservant cinq niveaux et la terrasse sommitale ; les angles sont occupés par des tours et tourelles, trois d’entre elles contenant des escaliers secondaires, et l’édifice compte vingt-et-une cheminées. La cage du puits, largement ajourée, permettait de puiser de l’eau à tous les étages, comme l’attestent les traces d’usure des cordes au niveau 3. Les niveaux les plus bas, à demi enterrés au nord à cause de la pente, regroupaient caves et lieux de stockage ; une vasque alimentée par une source alimente la base du puits et, par débordement, le bassin ou nymphée, partiellement intérieur et extérieur. Au troisième niveau, accessible par la galerie et le pont, un appartement de bains et une étuve munie d’un hypocauste ont été reconnus ; des fragments de décor mural à l’huile représentent une forêt et des silhouettes féminines évoquant peut‑être Diane. Le quatrième niveau constituait l’étage noble, caractérisé par des pièces plus hautes, deux colonnes décoratives et des plafonds « à enrayure » décrits par Du Cerceau ; un cabinet de toilette relié à la chambre attribuée à Louise de Clermont comporte une évacuation d’eau dans l’allège de la fenêtre. La terrasse sommitale, entourée des souches de cheminées, formait un belvédère et portait probablement un lanternon ; elle fut ultérieurement couverte d’un toit pyramidal, supprimé au XXe siècle.
Les façades, pensées selon un axe nord-sud, présentent une sobriété soignée : socle en pierres de taille, étages et attique, variation des matériaux et des percements, et, côté sud, la mise en scène exceptionnelle d’un nymphée dans la partie basse. La corniche à modillons alterne têtes de chiens et de lions, motif recomposé sur certaines façades après les campagnes de restauration. Les matériaux proviennent de carrières locales : moellons de calcaire à astartes pour les parements intérieurs, pierres de Tonnerre — calcaire blanc crayeux — pour les encadrements et une variété plus dure pour les murs extérieurs ; une pierre roussâtre, utilisée près du nymphée, pourrait provenir de Massangis et Coutarnoux. Le jardin originel, déboisé et clos dès la construction, est conçu sur le modèle du « palazzo in fortezza » mais sans les bastions extérieurs prévus ; Du Cerceau le représente comme un petit ensemble de 5 000 m2 combinant un carré et un demi-cercle autour du bassin, accessible par un seul chemin qui révèle progressivement le site. Les contraintes du sol argileux et de la nappe aquifère entraînèrent des problèmes d’humidité et de remblaiements successifs aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que l’activité de verrerie a contribué au comblement des douves. Le nymphée, élément de liaison entre jardin et château, présente une voûte alternant voussoirs de teinte différente et une façade traitée en bossage rustique ; son aménagement exact tel que figuré par Du Cerceau n’est pas confirmé par la fouille, et il a fait l’objet d’une restauration complète en 2012.
Plusieurs questions restent ouvertes : l’association singulière d’un puits-fontaine, d’un nymphée alimenté par le trop-plein, d’un escalier enveloppant un puits ouvert et d’un plan pentagonal fait de Maulnes un ensemble atypique dont les influences italiennes et françaises se mêlent. Le seul plan ancien conservé est celui d’Androuet du Cerceau, mais les différences avec l’état archéologique montrent que les dessins publiés reflètent à la fois des projets, des observations et des anticipations. L’attribution de la conception demeure incertaine : des noms comme Sebastiano Serlio, Francesco Paciotto ou Philibert Delorme ont été proposés au fil des recherches, mais aucune preuve concluante n’a permis d’imposer une décision définitive, si bien que l’on privilégie aujourd’hui l’hypothèse d’une réalisation composite, fruit d’influences italiennes et d’adaptations locales. Enfin, le château a servi de décor au tournage de La Reine Margot en 1993.