Origine et histoire
La tour-monastère, située sur l'île Saint-Honorat à Cannes (Alpes-Maritimes), est un monastère fortifié édifié à partir de la fin du XIe siècle par l'abbaye de Lérins pour protéger l'île, le monastère et ses occupants. Honorat et Caprais se retirèrent sur l'île de Lérina vers 400-410 avec l'accord de l'évêque de Fréjus, Saint Léonce, et l'île était déjà citée par Pline l'Ancien. Vers 732, un raid sarrasin entraîne le massacre d'environ cinq cents membres de la communauté, dont l'abbé saint Porcaire ; selon la tradition, saint Eleuthère rebâtit le monastère sur les ruines. Il est probable que l'abbaye ait été provisoirement abandonnée jusqu'au départ des Sarrasins de Fraxinet en 973, mais la menace perdure et la Vita d'Isarn mentionne une attaque en 1046 au cours de laquelle l'abbaye est pillée et des moines emmenés en Espagne. L'abbé Aldebert Ier entreprend la reconstruction de l'abbatiale Saint-Honorat, consacrée en 1088 par son successeur Aldebert II, qui initie la construction d'une tour défensive ; une lettre de 1101 signale d'ailleurs une attaque de barbaresques durant laquelle plusieurs moines sont tués et d'autres se réfugient dans une tour. La base de la tour contient des blocs en grand appareil issus d'une construction antique. Les papes interviennent pour soutenir la défense et le financement : Calixte II exhorte au secours dans une bulle du 18 décembre 1120 et, le 2 janvier 1121, accorde une indulgence à ceux qui défendent l'abbaye jusqu'à la Saint-Michel, équivalente à un pèlerinage à Jérusalem ; Honorius II renouvelle ces appels et indulgences le 27 décembre 1124 et demande des contributions pour la forteresse, et une lettre du 5 janvier 1125 invite plusieurs évêques à restituer des églises à l'abbaye, soulignant la peur des moines « devant la gueule des Sarrasins ». La première tour quadrangulaire, construite progressivement de la fin du XIe siècle au début du XIIe siècle, reste visible dans la partie inférieure de l'édifice car elle est ensuite doublée au XIIIe siècle lors d'un agrandissement vers l'est dont le mur oriental sépare la citerne du rez-de-chaussée et le cloître. L'agrandissement porte la hauteur de l'ensemble à 17 mètres et la tour primitive est chemisée sur trois côtés avec des blocs en moyen et grand appareil à bossages rustiques ; les spécialistes divergent cependant sur la chronologie précise des phases de cette construction. À l'origine purement défensive, l'édifice prend un caractère résidentiel avec de larges ouvertures au deuxième niveau qui éclairent une vaste salle ou aula, où se trouve la chapelle Sainte-Croix. Le rôle défensif est rappelé par des interventions pontificales au XIIe siècle et par la concession d'une bulle par Lucius III en 1182 ou 1183 exhortant les fidèles à aider les moines faute de ressources, situation qui conduit à des ventes, comme celle de la seigneurie de Roquefort-les-Pins en 1241 pour désendetter l'abbaye. Un système de signalisation par feux est établi en 1327 entre la tour du monastère fortifié et celle du Suquet. À partir de 1390, les professions monastiques se tiennent dans la chapelle de la forteresse ; les reliques de saint Honorat sont déposées le 20 janvier 1392 et la chapelle Sainte-Croix est consacrée le 14 septembre 1392, devenant le « saint des saints » de l'abbaye selon une inscription du XVe siècle. Un troisième agrandissement au sud vise à compenser la perte d'espace et à former un cloître ; du bâtiment résultant subsistent le rez-de-chaussée et le premier étage, utilisés respectivement comme citerne et réfectoire, tandis que l'étage supérieur, détruit, servait sans doute de sacristie et aurait été bâti par le moine Jean Castol selon Vincent Barralis. La construction des deux cloîtres superposés s'étend du milieu du XVe siècle, avec un nouvel escalier achevé en 1459, à la fin du même siècle ; les travaux mobilisent des pierres rouges de l'Estérel, des colonnes de réemploi (dont une borne milliaire), puis douze colonnes en marbre et leurs chapiteaux venus de Gênes en 1467, mais sont souvent interrompus par manque de moyens et par une épidémie de peste. Le coût élevé des aménagements explique l'absence de remaniements de l'église abbatiale, et la forteresse devient progressivement la résidence principale des religieux jusqu'en 1788. En 1613, dom Vincent Barralis Salerne livre la première description détaillée du monastère fortifié, qui compte alors 90 pièces, 30 cellules, une église et trois chapelles pour 15 à 30 moines. Le monastère subit de nouvelles attaques : en 1400 il est saccagé par des corsaires génois commandés par Salageri de Nigro, la tour est défendue en permanence par des serviteurs puis par des soldats provençaux à partir de 1437 et par des soldats français à partir de 1481, et en 1524 la flotte espagnole occupe et pille l'île. L'abbaye passe en commende en 1464, rejoint la Congrégation de Sainte-Justine et du Mont-Cassin en 1515, qui accueille ses premiers moines le 3 mai 1516, et voit s'ajouter au XVIe siècle une barbacane pour renforcer la défense. En 1635, l'occupation espagnole conduit à l'intégration du monastère dans les fortifications de l'île et contraint les moines à trouver refuge à Vallauris ; en 1638 le roi réunit l'abbaye à la congrégation de Saint-Maur malgré l'opposition pontificale. Après des occupations militaires répétées, la garnison de la tour se rend aux troupes austro-sardes en 1746. L'abbaye est sécularisée en 1787 au profit de l'évêque de Grasse et ne compte alors que quatre moines ; l'île est vendue en 1791 à Jean Alziary de Roquefort, dont la fille Marie-Blanche Sainval réside dans le monastère jusqu'en 1817, puis passe successivement à Jean-Louis Sicard et au révérend Henry Belmont Smith. Monseigneur Henri Jordany rachète l'île en 1859 pour 55 000 francs et l'abbaye fait l'objet de travaux de restauration à partir de 1869. Classée au titre des monuments historiques dès 1840, la tour-monastère fait l'objet d'une importante campagne de restauration commencée en 2020. L'accès se fait par une porte située à quatre mètres au-dessus du sol, aujourd'hui desservie par un escalier de pierre ; en face de l'entrée, un escalier conduit au cellier voûté en berceau. Le premier étage comprend le « cloître du travail » aux arcades ogivales et voûtes des XIVe et XVIIe siècles, intégrant une colonne réemployée provenant d'une borne milliaire romaine, tandis que le « cloître de la prière » au deuxième étage, pourvu de colonnettes en marbre blanc, donne accès à la chapelle Sainte-Croix, vaste salle voûtée d'ogives appelée « le Saint des Saints » en raison des nombreuses reliques qu'elle renfermait.