Origine et histoire du Château médiéval
Le château de Regnéville, fondé au XIIe siècle pour protéger le port et son trafic, présente aujourd’hui des vestiges issus de reconstructions successives, principalement celle du XIVe siècle attribuée à Charles le Mauvais. Le port et la forteresse furent suffisamment importants pour demeurer propriété royale pendant plus de trois siècles et former un fief royal jusqu’à la fin du XVe siècle. Les ruines se dressent à Regnéville-sur-Mer, près de l’église et au bord du havre de la Sienne ; la forteresse protégeait un port d’échouage très actif du Cotentin, point de départ pour les foires régionales, la surveillance de la mer et le contrôle de l’accès à la Sienne et à l’arrière-pays. Le site fut probablement occupé dès le IXe siècle lors des invasions normandes et le château est attesté en 1141 ; son donjon date du XIIe siècle. Les ducs de Normandie puis les rois d’Angleterre conservèrent le château dans le domaine royal pour contrôler la Basse‑Normandie ; Jean sans Terre occupa le site et favorisa la foire d’Agon pour les marchands anglais. En 1204 Philippe Auguste conserva le lieu dans le domaine royal, et en 1327 Jeanne de France reçut Regnéville en dot lors de son mariage avec le comte d’Évreux. Héritier des possessions d’Évreux en 1349, Charles le Mauvais fit probablement reconstruire le château, peut‑être avec des matériaux du château de Montchaton détruit en 1360, et y renforça les fortifications pendant les troubles de la guerre de Cent Ans. Après la tentative d’empoisonnement en 1378, les troupes du roi de France prirent Regnéville au début de mai 1378, puis les terres furent rendues à Charles de Navarre après la mort de Charles V en 1380. En 1404, Charles III de Navarre céda la Normandie au roi de France et Regnéville réintégra le domaine royal. Le château passa aux mains des Anglais en mars 1418, avec une garnison d’environ cinquante hommes ; des opérations navales y furent organisées, notamment en 1425 pour attaquer le Mont‑Saint‑Michel. Hue Spencer fut capitaine en 1435 et fit de Regnéville sa résidence pendant plusieurs années, jusqu’en 1448. Le 19 septembre 1449, après un siège de six jours, la forteresse fut reprise aux Anglais par le connétable de Richemont avec l’aide de bourgeois et de paysans, l’assaut laissant le littoral fortement endommagé. Les Anglais furent finalement chassés de Normandie en 1450 et le château fut ensuite restauré ; la guerre de Cent Ans prit fin peu après. Les garnisons du château restèrent modestes : en moyenne quelques hommes d’armes et une quinzaine d’archers ou arbalétriers sous les ordres d’un capitaine, rémunérés par le suzerain selon des contrats d’engagement ; en 1448‑1449 la garnison anglaise comptait six hommes d’armes et quatorze archers. Au début du XVe siècle, trois couleuvrines furent fabriquées pour le château, mais son rôle militaire déclina dans la seconde moitié du XVe siècle. Le château souffrit des combats et des tempêtes ; occupé en 1469 par des troupes bretonnes, il fut vendu en 1486, endommagé par une puissante tempête et remis en état à partir de 1582 par Roulland de Gourfaleur, qui transforma la basse‑cour et recreusa les douves. De 1594 à 1603 le site appartint à Daniel de La Touche, puis en 1603 le fief fut vendu à Isaac de Piennes, qui fut lié à une conspiration protestante visant à lever la Normandie comme diversion au siège de La Rochelle. Malgré la grâce accordée à son fils Henri, le château fut démantelé en 1637 sur ordre de Richelieu, après de sérieux dégâts causés par une tempête en 1630 ; le donjon, rempli de poudre, éclata et se fendit sur toute sa hauteur, projetant un bloc de maçonnerie contre le mur du cimetière. Par la suite, le site perdit sa fonction militaire et fut réaménagé à des fins résidentielles et agricoles aux XVIIe et XVIIIe siècles ; les seigneurs de Piennes y demeurèrent jusqu’au XVIIIe siècle. Au XIXe siècle une scierie mécanique de marbre fut installée dans la basse‑cour par Victor Bunel, puis en 1860 la comédienne Sarah Félix lança une activité ostréicole nommée « Les Huitrières de Regnéville ». Le conseil général de la Manche acquit le château en 1989 ; l’ensemble des vestiges formant la basse‑cour, y compris les sols, fut inscrit la même année et les ruines du donjon et les vestiges de la haute‑cour furent classés en 1991. Le château médiéval s’organisait en un quadrilatère dont subsistent des pans de courtines réemployés dans des maisons en bordure de la route de la mer ; la haute‑cour à l’est a livré des fondations dégagées lors de fouilles menées de 1991 à 1993. La tour maîtresse, de plan quadrangulaire, n’offre plus que deux de ses quatre faces et se situait au nord‑est de la haute‑cour ; à l’ouest, face au havre, la basse‑cour servait à l’origine de résidence royale sous Charles le Mauvais. La porte de la Mer, aménagée au XIVe siècle par l’évêque d’Avranches Robert Porte, chancelier du roi de Navarre et « gardien à vie » du château, ouvrait l’accès au port par une succession de ponts‑levis et ponts dormants protégés par un petit châtelet dont quelques piédroits subsistent ; le premier pont‑levis était peut‑être double, séparant les passages piétons et charrois. Le donjon, devenu emblème de la cité, n’en conserve qu’un angle ; bien que son architecture paraisse archaïque, il semble avoir été érigé au XIVe siècle sur un plan carré avec contreforts d’angle, atteignant une trentaine de mètres et comportant des mâchicoulis et des murs de plus de trois mètres d’épaisseur. Quatre étages, dont trois voûtés, étaient desservis par un escalier à vis refait au XVIe siècle encore visible, et le rez‑de‑chaussée abritait une cave ; au XVIe siècle Roulland de Gourfaleur fit percer des baies côté ouest et sud ouvrant sur un balcon porté par de grands corbeaux doubles en granit. La basse‑cour, longtemps ruinée par le siège de 1449 et un incendie, abritait écuries et dépendances ainsi que la résidence du roi de Navarre ; l’« ostel Jehan Louvet », la maison dite de la Chapelle et la Cour à Tot font partie de cet ensemble. Les reconstructions du XVIe siècle et les remaniements après le démantèlement de 1637 ont remodelé l’aile nord, dont la façade sur cour fut réédifiée et dont le premier étage s’ouvrait sur la cour par deux portes desservies par une galerie accessible par un escalier extérieur. La restauration engagée en 1994 vise à restituer la physionomie de la basse‑cour à la fin du XVIe siècle sous Roulland de Gourfaleur. Des campagnes de fouilles et des travaux de restauration, menés sous la propriété départementale, contribuent à la protection et à la connaissance progressive du site.