Origine et histoire de la Maladrerie Saint-Thomas-Becket
La maladrerie Saint-Thomas-Becket, située à Aizier en lisière de la forêt de Brotonne, occupe une terre donnée à l'abbaye de Fécamp en 1006 et a été fondée au XIIe siècle pour accueillir les lépreux. Les vestiges conservés comprennent l'élévation du pignon de la chapelle consacrée à saint Thomas Becket, les bases des murs du chœur et de la nef, des restes archéologiques d'un bâtiment à l'intérieur de l'enclos et une mare pavée. La chapelle, le bâtiment enfoui, la mare et l'enclos ont été inscrits aux monuments historiques en 1993. Le site se trouve à mi-chemin entre Rouen et Le Havre, sur l'extrémité nord du plateau du Roumois, au cœur du parc naturel régional des Boucles de la Seine normande, et ses limites demeurent visibles sous la forme d'un talus et d'un fossé ; il est traversé par la route Pont-Audemer–Aizier et par le chemin dit de Saint-Thomas. Fondée par les moines de Fécamp, la léproserie est associée à une chapelle dédiée à Thomas Becket ; sa datation repose sur la canonisation de ce dernier en 1173 et sur un acte de 1227, tandis qu'une analyse architecturale propose une fourchette plus précise entre 1173 et 1180. Les mentions documentaires concernant la léproserie sont rares mais incluent des références en 1449, 1594 et 1602, ainsi que des terriers de 1744 et 1760 signalant la présence de malades. Entre 1541 et 1575 le site devient un prieuré dépendant de l'abbaye de Fécamp, mais les prieurs paraissent peu ou pas installés et la chapelle tombe dès le XVIIe siècle en état de dégradation malgré des réparations. En 1641 le bénéfice revient aux bénédictins réformés de la congrégation de Saint-Maur, et l'ordonnance de 1693 qui attribue les léproseries aux hôpitaux n'entraîne pas la perte du site grâce à son statut de prieuré. Au XVIIIe siècle la chapelle est en fort mauvais état et frappée d'interdit en 1717, puis vendue comme bien national à la Révolution ; elle est alors abandonnée et envahie par la végétation. Le dégagement du site débute en 1981 puis, après un premier chantier en 1984 dirigé par Rémi Legros, treize campagnes de fouilles ont lieu entre 1998 et 2010, permettant l'étude complète de l'organisation du lieu, des bâtiments, des circulations et des espaces funéraires ; plus de 220 sépultures ont été mises au jour au total. Le site reste aujourd'hui une propriété privée mais accessible au public grâce à un parcours d'interprétation et il demeure un lieu de pèlerinage où subsiste une tradition locale liée aux branches de houx ou de noisetier. La parcelle, boisée depuis plusieurs siècles, a permis la fossilisation de l'enclos qui conserve les caractéristiques usuelles d'une léproserie : situation isolée mais proche d'une voie, clôture fossoyée, point d'eau, lieu de culte, cimetière et bâtiments d'habitation, dont trois sont localisés à l'ouest de la chapelle. L'enclos est matérialisé par un fossé large de 3,50 m et profond de 0,50 m, bordé d'un talus ; un replat de 1,50 m longe le tracé et une plate-forme de 1 m accueille les constructions. La mare, alimentée par les pluies, se situe au sud‑ouest de la chapelle ; son fond et son côté ouest sont revêtus de silex, elle figure sur le cadastre de 1823 et n'a pu être datée plus précisément en raison d'un curage dans les années 1980. Les bâtiments d'habitation révèlent deux phases : entre les XIIIe et XVe siècles un grand hôpital de 26 m de long sur 7 m de large aux murs de 0,80 à 0,90 m en silex et mortier de chaux, puis aux XVe–XVIe siècles deux maisons à pans de bois plus petites, de deux et trois pièces, équipées d'un four et d'une cheminée, bâties sur les ruines du premier édifice ; l'un des bâtiments réutilise le pignon oriental de l'hôpital mais est plus étroit de 1,40 m, l'autre mesure 4,20 m sur 8,45 m avec des murs de 0,30 m. La chapelle présente un plan asymétrique composé d'une nef de 13,4 m sur 7 et d'un chœur de 6,8 m sur 6, soutenus par seize contreforts ; l'entrée se fait par une porte latérale à l'extrémité occidentale, et le pignon oriental conserve deux baies en plein cintre témoignant de l'origine romane. L'édifice est construit en moellons de silex liés au mortier de chaux, avec des éléments en calcaire taillé aux angles, aux ouvertures et aux contreforts ; un incendie survenu vers la fin du Moyen Âge a ravagé le chœur et sans doute une partie de la nef, puis un emmarchement de chœur a été reconstruit, et deux bases d'autel latéral dans la nef ont été dégagées. Dans la chapelle aucune inhumation n'a été retrouvée dans le chœur mais trente-neuf sépultures ont été mises au jour dans la nef, toutes majoritairement orientées tête à l'ouest et à des profondeurs variant de 0,15 m à 1,20 m ; neuf correspondent à des hommes, quatre à des femmes, trois adultes sont indéterminés et cinq à des adolescents ou immatures, la plupart présentant des coffrages de bois. L'espace sépulcral montre des rangées régulières, des recoupements et des réductions indiquant une fréquentation intensive liée au désir d'être inhumé ad sanctos, et plusieurs sujets portent des lésions osseuses évocatrices de la lèpre. Le cimetière nord, très dense, s'étend le long du mur nord de la chapelle en douze ou treize rangées et comporte deux à sept niveaux d'inhumation avec recoupements et réductions soigneuses ; les sépultures les plus éloignées atteignent des profondeurs de −1,40 m à −1,70 m, tandis que celles proches du mur affichent des profondeurs comprises entre −0,80 m et −1,50 m, et la disposition suggère une gestion rigoureuse et une organisation éventuellement liée à des critères sociaux ou familiaux, les sujets jeunes étant souvent placés près du mur. Le cimetière sud, plus restreint, a livré une quinzaine de sépultures sur un seul niveau, majoritairement en coffrage de bois, parmi lesquelles au moins cinq cas sont attribués à des lépreux et quatre à des affections dégénératives ou congénitales ; la moindre densité soulève des questions sur la chronologie relative des deux secteurs, sans réponse définitive à ce jour. Enfin, une sépulture isolée de femme a été découverte contre le mur occidental de la chapelle, singularité qui a suscité plusieurs hypothèses quant à son emplacement particulier. Des travaux de bénévoles ont contribué à la restauration du site entre 2001 et 2003.