Origine et histoire de l'Ouvrage de la Ferté
L’ouvrage de La Ferté, parfois appelé ouvrage de Villy‑La Ferté, est un petit élément fortifié de la ligne Maginot implanté sur les communes de Villy et La Ferté‑sur‑Chiers, au sommet de la cote dite « La Croix de Villy ». L’ensemble fortifié couvre plus de 12 hectares et comprenait des éléments enterrés destinés à se couvrir mutuellement : les grosses casemates de Margut, Moiry, Sainte‑Marie et Sapogne, l’ouvrage du Chesnois, ainsi que les deux blocs de La Ferté, protégés par un réseau de fils de fer barbelés et de rails antichar. Conçu comme un ouvrage d’infanterie, il se compose de deux blocs reliés par une galerie souterraine et disposait d’armements légers (mitrailleuses, fusils‑mitrailleurs, goulottes lance‑grenades et quelques canons antichar de petit calibre). Sa construction a débuté en 1935 ; l’ouvrage a été mis en service en 1938 et a été endommagé lors des combats de mai 1940. Lors de l’offensive allemande, il a été longuement pilonné par plus de 250 canons, privé de l’appui des casemates armées de 75 mm qui l’auraient soutenu, puis attaqué de l’ouest, un secteur pour lequel il n’était pas conçu, entraînant la destruction de l’intégralité de sa garnison.
Sur la ligne Maginot, La Ferté faisait partie du sous‑secteur de la tête de pont de Montmédy, entre la casemate d’intervalle de l’Aveney à l’ouest et la casemate CORF de Margut à l’est, à portée de feu de l’ouvrage du Chesnois ; à proximité se trouvaient également les casemates STG de Villy‑Ouest et Villy‑Est, chacune équipée d’un canon de 75 mm modèle 1897/1933. La tête de pont de Montmédy comprenait quatre ouvrages — Le Chesnois, Thonnelle, Vélosnes et La Ferté — complétés par une douzaine de casemates, les deux premiers étant des ouvrages d’artillerie et les deux autres des ouvrages d’infanterie ; La Ferté et Le Chesnois constituaient les ouvrages les plus au nord de la continuité défensive.
La garnison de La Ferté comptait 106 hommes, dont trois officiers, neuf sous‑officiers et quatre‑vingt‑quatorze soldats : soixante‑quinze fantassins du 155e régiment d’infanterie de forteresse, des électromécaniciens du 3e régiment du génie, des téléphonistes du 18e régiment du génie et cinq artilleurs du 169e régiment d’artillerie de position agissant comme observateurs ; le commandement était assuré par le lieutenant Maurice Bourguignon.
Le bloc 1, qui servait de casemate d’infanterie et d’entrée principale, comportait une entrée munie d’une grille et d’une porte blindée en chicane, des fossés diamants défendus par des fusils‑mitrailleurs et des goulottes lance‑grenades, une chambre de tir équipée d’un créneau JM/AC 47 et d’un créneau pour jumelage de mitrailleuses, ainsi que des locaux de vie et techniques (réservoir d’eau, chambres de repos, central téléphonique, groupes électrogènes, salle de neutralisation des gaz). Le bloc 1 était coiffé de deux cloches GFM et de deux cloches AM et complété par un projecteur sous abri bétonné. Le bloc 2, de configuration analogue mais plus compact, comprenait une entrée secondaire, des chambres de repos (30 lits au total), un local radio avec antenne de 14 mètres, des locaux techniques en sous‑sol et, sur le dessus, une tourelle AM pour deux armes mixtes, une cloche GFM, une cloche VDP (la seule de la tête de pont de Montmédy) et une cloche d’arme mixte ; la tourelle AM, mobile et blindée, pesait 135 tonnes et était servie par une vingtaine d’hommes. Les deux blocs étaient reliés par une galerie courbe et faiblement éclairée longue de plus de 270 mètres, située respectivement à 19 m et 28,60 m de profondeur sous les blocs, desservant cuisine, laverie, magasin aux vivres, réserve à charbon, infirmerie, puits, arrivée téléphonique et magasin à munitions, ainsi qu’une galerie d’évacuation‑assainissement de 80 mètres sous le dallage dont les eaux se jetaient dans la Chiers.
L’ouvrage a été réalisé dans le cadre des « nouveaux fronts » de la ligne Maginot et résulte d’un compromis de conception qui a conduit à limiter l’ensemble à deux blocs d’infanterie autonomes au lieu du projet initial à trois blocs ; il n’obéissait pas strictement aux principes CORF et sa puissance de feu restait modeste, sans armes à tir courbe significatives, ce qui limitait ses possibilités de flanquement et le rendait dépendant de l’appui du Chesnois. Les travaux de bétonnage, de blindage et d’installation des réseaux téléphoniques ont mobilisé plusieurs entreprises spécialisées, et la livraison à l’armée a été effectuée début 1938.
Parmi les aménagements ultérieurs, l’ouvrage devait être complété par un ouvrage mixte à Vaux‑lès‑Mouzon mais ce projet fut abandonné pour des raisons budgétaires ; l’absence de certaines pièces d’armement, comme les mortiers de 50 mm et leurs supports, a réduit la capacité à battre certains abords, la géographie permettant aux attaquants d’approcher jusqu’au réseau de barbelés situé à environ soixante‑dix mètres. Pour compenser partiellement l’absence d’artillerie, deux casemates indépendantes à Villy furent construites, et, à partir d’octobre 1939, un projecteur extérieur fut installé tandis que le village de Villy et ses caves furent aménagés en points d’appui et protégés par des réseaux de fils de fer et de rails antichars.
Au début de mars 1940, une inspection parlementaire a relevé que la région de Montmédy présentait des ouvrages redoutables mais que les défenses avoisinantes restaient rudimentaires et susceptibles d’être contournées, appréciation contestée par le commandement local ; les renseignements aériens allemands mettaient par ailleurs en évidence les points faibles du secteur. Lors de la percée allemande de mai 1940, la brèche se forma dans la zone comprise entre Sedan et Carignan, ce qui entraîna le retrait des troupes et la destruction de nombreux ouvrages d’intervalle, privant La Ferté d’intervalles et d’appui d’artillerie.
Les combats autour de La Ferté ont débuté à la mi‑mai 1940 : des éléments de la 71e division allemande franchirent la Chiers à Blagny et progressèrent vers Villy et des cotes voisines, obtenant progressivement des positions d’artillerie et d’approche donnant accès aux arrières de l’ouvrage ; après des affrontements et le repli des casemates de Villy, la prise de Villy facilita l’attaque de l’ouvrage lui‑même. À partir du 18 mai, l’ouvrage fut soumis à un bombardement massif — près de 250 pièces d’artillerie, dont des 88 mm en tir direct et des mortiers lourds — et les assaillants employèrent des pionniers pour neutraliser les cloches et la tourelle par des charges explosives, tandis que des incendies et des fumées envahissaient les locaux.
Les portes‑sas n’ayant pas été fermées et la galerie souterraine ne disposant pas d’une ventilation autonome adéquate, l’enfumage et le dégagement de monoxyde de carbone, contre lesquels les masques n’étaient pas efficaces, provoquèrent l’asphyxie progressive des défenseurs ; les tentatives françaises de contre‑attaque n’aboutirent pas et, au matin du 19 mai, il n’y eut plus aucun survivant à l’intérieur de l’ouvrage. Les Allemands, soucieux de protéger leur flanc sud et de fixer des troupes françaises tout en exploitant la prise à des fins de propagande, mirent en avant cette réussite, même si l’impact militaire fut limité.
Après la chute, les accès furent d’abord impraticables en raison des gaz ; les corps des défenseurs furent extraits début juin et enterrés dans deux fosses communes à Villy, puis transférés en partie dans un cimetière provisoire en 1941 ; les dépouilles du lieutenant Bourguignon et de seize de ses subordonnés furent retrouvées en 1973 derrière le bloc 2 et d’autres restes mis au jour lors de travaux de déblaiement en 1990. Les 106 noms des membres de l’équipage sont gravés de chaque côté du monument commémoratif érigé en 1949 ; une nécropole et un cimetière militaire accueillent aujourd’hui une partie des défenseurs et l’ouvrage a été inscrit au titre des monuments historiques en 1980.
L’état actuel présente des dessus chaotiques, creusés d’entonnoirs malgré un entretien herbeux : au bloc 1, les cloches GFM et AM sont fortement endommagées, des créneaux et l’intérieur des cloches ont été détruits, les couloirs sont noircis, les portes‑sas et la porte blindée ont été soufflées tandis que certains locaux techniques inférieurs (groupes électrogènes, salle des filtres) et une cuisine conservent des vestiges domestiques. Au bloc 2, le corps de la tourelle AM a été arraché et repose transversalement dans son puits, des traces d’explosifs marquent la muraille, la cloche GFM est effondrée et la chambre de repos est fortement endommagée, les impacts de tirs de 88 mm étant visibles sur le sommet du bloc.
Propriété de l’État jusqu’en 1971, l’ouvrage a été cédé aux communes de La Ferté‑sur‑Chiers et Villy pour un franc symbolique ; depuis 1973, le « Comité du Souvenir des défenseurs de Villy‑La Ferté » organise des visites guidées régulières et assure l’entretien du site.